Le silure glane est une espèce indigène dans une grande partie de l’Europe. En France, des fossiles attestent de sa présence il y a 8 millions d’années, bien qu’il ait par la suite disparu pendant plusieurs siècles. Le silure est d’abord réapparu dans la Sane morte via des déversements, puis il a ensuite rejoint la Saône et par la suite l’ensemble du territoire en empruntant les canaux. Troisième plus grand poisson d’eau douce du monde, sa taille moyenne est de 1,5m ; le record français pour la capture d’un silure est d’1m73.
Il fait, aujourd’hui, l’objet de nombreuses polémiques. Certains pêcheurs le trouvent intéressant, notamment car il apporte du challenge. Cependant, la plupart considèrent qu’il a un impact négatif sur le milieu, et notamment sur les poissons migrateurs dont il se nourrit lorsqu’ils se retrouvent bloqués au pied des barrages. Par conséquent, certains souhaiteraient que le silure soit classé en espèce invasive. Ce qui impliquerait que lorsqu’il est pêché, il doive être tué, avec interdiction de le relâcher dans le milieu.
Mais le silure est un carnassier opportuniste. Cela signifie qu’il ne se nourrit pas d’une espèce en particulier, mais de ce qu’il trouve. Il peut donc se nourrir de poissons, mais aussi d’oiseaux, de petits mammifères… Lorsqu’un barrage empêche la circulation piscicole, il en profite. Il se place en aval direct du barrage où les espèces migratrices coincées stagnent, et s’en nourrit. Le problème pour les poissons migrateurs ne réside pas tant dans le silure (qui ne fait que profiter d’une opportunité de nourriture facile d’accès), mais dans la présence d’un barrage.
Contexte de l’étude
Il manque de nombreuses connaissances sur le silure, son comportement, sa reproduction, son mode d’alimentation. La Fédération nationale pour la pêche en France a donc un point de vue objectif sur la question, et considère qu’il faut : « Continuer les études permettant de connaitre le silure et particulièrement celles concernant son impact sur les stocks de migrateurs qui reste le seul argument pour la nécessité d’une gestion de l’espèce alors que cet argument manque d’éléments objectifs ». Si l’impact du silure sur les espèces migratrices n’est pas avéré, il n’y a pas de raison de gérer l’espèce.
C’est dans cet objectif, de multiplication des connaissances sur l’espèce, que la Fédération de l’Oise pour la pêche et la protection du milieu aquatique a mené une étude sur les déplacements du silure au niveau de la passe à poissons du barrage du Carandeau. Cette étude a pour objectif d’évaluer l’impact potentiel du silure sur les espèces de poissons en général, et plus particulièrement sur les espèces migratrices.
L’étude
Le site étudié se situe au niveau du barrage du Carandeau, sur l’Aisne, dans le département de l’Oise. Ce barrage, mis en service en 2017, bloque la continuité écologique sur sa longueur. Il a donc été équipé d’une passe à poissons par « bassins successifs » afin de maintenir la circulation piscicole, et notamment la circulation des espèces migratrices.
L’étude avait pour objectif de voir s’il était possible d’établir un lien de causalité entre le passage des silures et celui des aloses dans la passe à poissons du barrage. Les aloses, des espèces amphihalines, passent la plus grande partie de leur vie en mer, mais viennent se reproduire en rivière.
La fédération de l’Oise voulait donc voir s’il existait une prédation intensive des silures sur les aloses au barrage de Carandeau. Pour ce faire, la passe à poissons, équipée d’un système de vidéosurveillance 24h/24 a permis le comptage des silures et aloses à partir de 2017, pour la montaison comme pour la dévalaison. Ce système permet le comptage et parfois la mesure de la taille des poissons sans les inconvénients du piégeage (stress et blessures).
En parallèle, la Fédération de l’Oise a effectué des relevés de température, qui ne sont cependant disponibles que de 2016 à 2018. Afin de mettre en évidence une corrélation ou non entre le passage des silures et celui des aloses, la Fédération de l’Oise a par la suite comparé les horaires de passage dans la passe à poissons. Finalement, elle a procédé à un calcul sur la corrélation entre la présence de silures dans la passe à poissons et d’autres espèces.
Résultats et conclusion de l’étude
En 2017, il y a eu 14 montaisons et 1 dévalaison de silures. En 2018, 106 individus ont emprunté la passe à poissons dont 48 dévalaisons. En 2019, il n’y a eu aucune dévalaison et 48 montaisons. En 2017 5 aloses ont emprunté la passe et 12 en 2018, alors qu’en 2019, il y a eu plus de 359 passages d’aloses.
On constate que les passages sont concentrés en mai, juin et juillet lorsque la température de l’eau avoisine les 20°C. Cela correspond au préférendum thermique des silures, mais aussi à la période de reproduction des silures et des aloses. Les espèces piscicoles deviennent plus mobiles en période de reproduction afin de trouver des zones de frai adaptées. Par ailleurs, la forte augmentation du nombre de silures empruntant la passe entre 2017 et 2018 peut s’expliquer par le fait que les espèces doivent s’habituer et apprivoiser ce nouveau passage.
La Fédération a ensuite étudié les horaires de passage des silures et des aloses. Elle a constaté que les deux espèces n’empruntent que peu la passe aux même horaires. De plus, lorsque le passage des silures suit celui des aloses, c’est avec une différence d’une heure minimum entre les deux passages. Cela laisse à penser qu’il n’existe pas réellement de prédation intensive des silures sur les aloses au niveau du barrage du Carandeau. Toutefois, ce n’est pas qu’il n’existe pas de prédation de la part du silure, mais plutôt qu’avec les données actuelles, on ne peut pas affirmer ce fait ou le réfuter.
Enfin, la fédération a effectué un calcul de corrélation entre la présence des silures et celui d’autres espèces de poissons. Ce calcul a montré qu’il y avait une corrélation entre la présence de silures et d’aloses, de brèmes et de chevesnes. Mais cette corrélation est probablement due au fait que leur période de reproduction est au même moment, et non pas à une prédation intensive des silures sur ces espèces. De plus, la comparaison des données sur la température et sur le passage des espèces dans la passe à poissons n’est possible que sur une année. Cela ne permet donc pas d’infirmer ou de confirmer les hypothèses émises.
Les résultats ne permettent pas de statuer quant à l’impact des silures sur les aloses. Il faut donc approfondir les connaissances. Une des possibilités serait la mise en place de relevés stomacaux, soit l’identification des proies du silure en analysant le contenu de son estomac. Cela permettrait de mettre en lumière, ou non, un lien de causalité entre le passage des silures et celui des aloses en aval direct du barrage du Carandeau.